Olivier MESSIAEN

Traité de rythme, de couleur et d'ornithologie, Introduction du tome 5

Dans le monde des oiseaux, c'est presque exclusivement le mâle qui chante. Et il chante surtout au printemps, quand il est amoureux ! Les chants sont de trois sortes :

a) le chant de propriété, par lequel l'oiseau déclare que le terrain de pâture est à lui, que nul autre n'a droit d'y pénétrer - chant qui peut susciter des joutes de chant entre rivaux de terrain

b) le chant de séduction, destiné à éblouir, à émouvoir la femelle - chant qui s'accompagne parfois de tout un cérémonial : les parades nuptiales

c) le salut à la lumière naissante ou mourante - chant que l'on entend au lever et au coucher du soleil, le plus beau de tous.

Les oiseaux sont émus par la beauté des couleurs, de la lumière, du paysage qui les entoure. C'est alors qu'ils font leurs plus beaux chants. Par temps couvert, temps gris, brouillard, ils chantent peu, ou pas du tout. J'ai entendu, dans le Jura, une Grive musicienne qui chantait moins bien lorsque l'éclairage était médiocre - par contre, s'il y avait un magnifique coucher de soleil rouge ou violet, elle combinait tous ses thèmes avec une force, une invention, une virtuosité, une poésie absolument extraordinaire.

Dans le domaine musical, les oiseaux ont tout trouvé.

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Georges-Louis LECLERC de BUFFON

Histoire naturelle des Oiseaux, tome 5

Le Rossignol

Il n'est point d'homme à qui ce nom ne rappelle qu'une de ces belles nuits de printemps, où, le ciel étant serein, l'air calme, toute la Nature en silence, et pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts.

On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs, dont la voix le dispute à certains égards à celle du rossignol ; les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d'Amérique se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait : les uns ont d'aussi beaux sons, les autres ont le timbre aussi pur et plus doux, d'autres ont des tours de gosiers aussi flatteurs ; mais il n'en est pas un seul que le rossignol n'efface par la réunion complète de ces talents divers, et par la prodigieuse variété de son ramage ; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux prise dans toute son étendue, n'est qu'un couplet de celle du rossignol :

le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement ; s'il redit quelque passage, ce passage est animé d'un accent nouveau, embelli par de nouveaux agréments ; il réussit dans tous les genres ; il rend toutes les expressions, il saisit tous les caractères, et de plus il fait en augmenter l'effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l'hymne de la Nature, il commence par un prélude timide, par des sons faibles, presque indécis, comme s'il voulait essayer son instrument et intéresser ceux qui l'écoutent ; mais ensuite prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe :

coups de gosiers éclatants, batteries vives et légères, fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n'est point appréciable à l'oreille, mais très propre à augmenter l'éclat des tons appréciables, roulades précipitées brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût ; accents plaintifs cadencés avec mollesse ; sons filés sans art, mais enflés avec âme, sons enchanteurs, pénétrants ; vrais soupirs d'amour et de volupté qui semble sortir du coeur et font palpiter tous les coeurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante : c'est dans ces tons passionnés que l'on reconnaît le langage du sentiment qu'un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu'elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d'autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnaît le simple projet de l'amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

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L'alouette

Cet oiseau, qui est fort répandu aujourd'hui, semble l'avoir été plus anciennement dans nos Gaules qu'en Italie, puisque son nom latin alauda, selon les auteurs latins les plus instruits, est d'origine gauloise.

Elle commence à chanter aux premiers jours du printemps, qui sont pour elle le temps de l'amour, et elle continue pendant toute la belle saison ; le matin et le soir sont les temps de la journée où elle se fait le plus entendre, et le milieu du jour, celui où on l'entend le moins. Elle est du petit nombre des oiseaux qui chantent en volant ; plus elle s'élève, plus elle force la voix ; et souvent elle la force à un tel point, que quoiqu'elle se soutienne en haut des airs et à perte de vue, on l'entend encore distinctement, soit que ce chant ne soit qu'un simple accent d'amour ou de gaité, soit que ces petits oiseaux ne chantent ainsi en volant que par une sorte d'émulation, et pour se rappeler entre eux. Au reste, l'alouette chante rarement à terre, où néanmoins elle se tient toujours lorsqu'elle ne vole point ; car elle ne se perche jamais sur les arbres.

On a dit que ces oiseaux avait de l'antipathie pour certains constellations, par exemple, pour Arcturus, et qu'ils se taisaient lorsque cette étoile commençait à se lever en même temps que le soleil.

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PLINE l'Ancien

Histoire naturelle, Livre X

Les perdrix fortifient leur retraites si bien avec des épines et des broussailles, que cela est une défense suffisante contre les animaux de proie: elles forment un lit de poussière pour y déposer mollement leurs oeufs; elles ne les couvent pas dans les lieux où elles les ont pondus; de peur de faire naître le soupçon en séjournant trop dans le même lieu, elles les transportent ailleurs. Elles se cachent aussi des mâles, parce que ceuxci, dans l'excès de leurs désirs, cassent les oeufs pour empêcher l'incubation, qui les prive. Alors les mâles, manquant de femelles, se battent entre eux ; et l'on dit que le vaincu sert de femelle au vainqueur. Si les femelles sont en face des mâles et sous le vent, elles conçoivent par l'action de cet air ; pendant ce temps, le bec ouvert, la langue tirée, elles sont tout enflammées. Elles conçoivent encore par le souffle des mâles qui volent par-dessus; il leur suffit souvent d'entendre la voix du mâle. L'ardeur amoureuse l'emporte tellement sur la tendresse pour les petits, que cette même femelle, qui s'est cachée pour couver en secret, rappelle de la voix le mâle, et se livre volontairement à sa passion. On pense que la vie des perdrix va jusqu'à seize ans.

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Après les perdrix, c'est dans les pigeons qu'on remarque surtout l'ardeur amoureuse : mais la chasteté est la première de leurs qualités. L'adultère est inconnu chez eux. Fidèle à la foi conjugale, chaque couple demeure dans le domicile commun. Nul ne déserte le nid que veuf ou veuve. Les femelles supportent le caractère impérieux et parfois les injustices des mâles; car ils les suspectent d'adultère, et elles en sont incapables. Alors ils ont le cou gonflé par la menace, et ils donnent de cruels coups de bec: puis, s'apaisant, ils réparent leurs torts par des baisers; et pour obtenir les faveurs de la femelle. Ils la flattent en tournant plusieurs fois autour d'elle. Le mâle et la femelle ont un égal amour pour leur progéniture. Pendant qu'elle pond le mâle lui donne des consolations et lui rend les services.

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Jacques DELAMAIN

Journal de guerre d'un ornithologue

1915 - 1er mai

Réveillé à 5h. Tous les oiseaux familiers sont là, dans la petite vallée au dessus de laquelle les obus passent et repassent. De mon lit j'entends une Grive dans les peupliers, le Pinson, tous les chants familiers ; un peu plus tard, le sifflement du Loriot ! Le temps est magnifique. Des Verdiers se poursuivent dans un lilas près de la petite maison. Un Rossignol des murailles, un mâle très beau, entre dans un petit trou de mur. La femelle ramasse à terre des racines sèches pour bâtir son nid. Les migrateurs sont tous présents comme si rien n'était changé.

6 mai

Pendant une passe d'artillerie, quelques obus tombent sur le village. Un Pinson, sur le toit de la maisonnette en face de nous n'interrompt pas un instant son chant monotone et bruyant. Une Hirondelle mâle, posée à côté de sa femelle sur le même toit, gazouille sans s'arrêter. Les Moineaux piaillent pendant que le bruit des 75 déchire l'air. Une Hypolaïs polyglotte chante sous le départ des coups de 90. Je remarque pourtant qu'une interruption de deux ou trois secondes a lieu aussitôt après la détonation, mais pas toujours. Le Verdier, lui semble ne faire aucune attention aux coups de canon.

7 mai

Dans le bois, sur la ligne de feu, les Ramiers, les Tourterelles, en vol nuptial, comme de coutume.

1917 - 23 mars

Sorti sur le promenoir ce matin, à 9h et demie, au-dessus du petit chemin creux. Bruit de verre cassé, de cristal plutôt, qu'on laisserait tomber d'une main à l'autre. Ce sont des Bruants Proyers. Deux oiseaux se détachent, se poursuivent, vont se poser un peu plus loin ; puis deux autres, quelquefois quatre à la fois, se suivent par couples, une poursuite très animée avec évolutions à petite hauteur, vol en ligne droite, très rapide. Je n'ai jamais vu encore de scènes de ce genre : que font-ils là ? S'agit-il d'une compétition des mâles par le chant, avec batailles ou cour aux femelles ? Très étrange comme scène, avec sur la neige, la petite troupe rasant le sol de son vol rapide. Je suis convaincu qu'il s'agit d'une manifestation sexuelle, peut-être du choix des couples. Une joyeuse atmosphère de noces.

1918 - 13 mars

Arrivés ici par une journée magnifique. Calme absolu, mort sous toute cette lumière. Un vent d'est perçant rappelle seul cet hiver terrible. Aucun signe de printemps, de vie. Le soir, à la tombée de la nuit, je rôde à l'ombre des tours de la cathédrale. Deux moineaux piaillent avec entrain au moment du coucher du soleil, le seul petit brin de vie et de gaité dans toute cette mort.

10 septembre

Une matinée d'automne claire et fraîche. La forêt est silencieuse. Loin dans la plaine, on entend le seul chant de cette saison de silence pour la forêt : l'Alouette des champs, infatigable, verse son chant sur les moissons. Vers le nord, le canon tonne sans arrêt depuis hier soir.

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Olivier MESSIAEN

 

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Georges Louis LECLERC de BUFFON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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PLINE l'Ancien

 

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Jacques DELAMAIN

 

 

 

 

 

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